VANVES ACTUALITE

A lire une contribution d'un professeur du Lycée Michelet à Vanves

À l’école des colles : les interrogations orales en CPGE

Par Antoine de La Taille

Professeur de culture générale (Philosophie) en Classe Préparatoire Économique et Commerciale option technologique au lycée Michelet à Vanves. Membre du bureau de l’APHEC.

Les « colles » : sous ce mot qui porte une vague idée de punition se trouve, dans l’argot des classes préparatoires aux grandes écoles, un exercice intellectuel redouté de ses élèves : penser en public. En quoi consiste-t-il exactement ? Comment se déroulent ces heures d’interrogations orales dans les trois filières qui préparent aux concours des écoles scientifiques, commerciales ou littéraires ? Quel en est l’emploi et l’utilité ?

La nuit tombe derrière les fenêtres d’une salle de cours du lycée Michelet à Vanves tandis que trois étudiants en classe préparatoire scientifique se concentrent devant un pan de tableau. Question de cours pour Solène, Benjamin et Ryan : démontrer la formule du triangle de Pascal. On entend seulement le chuchotement des feutres qui avancent, hésitent, se reprennent sous l’œil de l’examinateur (le « colleur »). La réflexion se déploie sur le mur dans une floraison de chiffres et de symboles. Ryan termine le premier. L’examinateur s’approche : la réponse est correcte. Il retourne à son cahier chercher l’énoncé d’un exercice. Ce sera du calcul algébrique. Solène a besoin d’aide. « Je veux montrer que cet ensemble est borné mais je n’y arrive pas. » L’examinateur l’interroge pour la mettre sur la voie. Une solution se dessine. À la fin de l’heure, les notes tombent. Ryan aura quinze sur vingt. « Bon potentiel, comprend vite ». Ça ne se passe pas toujours aussi bien. Mais tout le monde doit y passer. Dans toutes les disciplines.

Nées avec l’école Polytechnique

Uniques en leur genre, critiquées par un rapport de la Cour des comptes pour leur coût[1], les colles font partie des spécificités des classes préparatoires aux grandes écoles qui contribuent à entretenir leur réputation d’excellence ou d’élitisme. Filles de la République, elles naissent avec la création de l’école Polytechnique dont le concours d’accès reposait sur une interrogation orale en mathématiques. Celui qui ne savait répondre aux questions embarrassantes posées par l’examinateur demeurait les lèvres collées et n’était pas reçu. Pour aider les candidats, les préparations publiques et privées se développèrent au XIXème siècle et adoptèrent l’épreuve de l’interrogation orale. Au siècle suivant, cet exercice s’appliqua aux classes préparatoires littéraires (qui l’orthographièrent « khôlle » pour se distinguer) puis commerciales. Il fallut en réglementer la pratique et attribuer à chaque filière son contingent d’heures employées à celui-ci. Que disent aujourd’hui les arrêtés ministériels ?

La diversité des filières, des disciplines et des options en imposerait une lecture minutieuse. Nous nous contenterons d’en donner les grandes lignes que nous avons rassemblées dans un tableau pour plus de clarté. Dans la plupart des disciplines, chaque élève dispose de dix minutes d’interrogation orale par semaine. Cette règle présente des exceptions justifiées par la plus ou moins grande importance d’une matière dans une filière. Les mathématiques et les sciences physiques bénéficient ainsi de deux fois plus de temps dans les classes scientifiques où elles constituent la matière principale. À l’inverse, l’égalité règne dans les classes préparatoires économiques et commerciales où chaque discipline dispose du même temps réglementaire (dix minutes) quelle que soit son importance. Quant aux filières littéraires, elles font dans ce tableau figure de parent pauvre puisque leur dotation horaire est trimestrielle. En clair, un khâgneux ne dispose officiellement que d’une heure dans l’année pour préparer son épreuve orale de lettres. Dans de telles conditions, mieux vaut qu’il ait l’éloquence innée !

Tel est le cadre officiel. Son étroitesse ou sa rigidité nécessitent des aménagements ne serait-ce que pour respecter la durée des épreuves orales des grandes écoles qui va de vingt à cinquante minutes. La liberté pédagogique des enseignants le permet. Mais ces aménagements demandent beaucoup d’ingéniosité. La solution la plus généralement adoptée est d’entendre les mêmes élèves une semaine sur deux et de les recevoir par groupes de trois. Cette répartition, dans la mesure du possible, des élèves d’une même classe en trinômes et leur convocation hebdomadaire dans chaque discipline fait l’objet en début d’année scolaire d’un tableau de planification (le « colloscope ») validé par le chef d’établissement. Calcul complexe dont l’effectuation repose sur le dévouement de quelques collègues. Ainsi, un étudiant bénéficiant de dix minutes d’interrogation orale par semaine en espagnol sera entendu par son examinateur pendant ce temps puis repris par celui-ci dix autres minutes devant ses camarades. Il en va différemment dans les filières littéraires ou la durée des interrogations (trente minutes) permet qu’elles restent individuelles.

Deux exemples

Deux exemples précis, les mathématiques et la géopolitique, permettront de se faire une meilleure idée de ce moment intimidant.

Certains se souviennent peut-être des séances de calcul mental à l’école primaire où la vitesse du raisonnement comptait autant que l’exactitude du résultat. Les séances d’interrogations orales en mathématiques, toutes classes préparatoires confondues, font appel aux mêmes facultés. Ici, les étudiants ne disposent pas de temps de préparation pour élaborer leur communication. À peine entrés dans la salle, ils prennent en note, sous la dictée de leur examinateur, l’énoncé de l’exercice qui leur est individuellement attribué puis, après un instant de réflexion, rédigent la réponse au tableau. La première partie de l’heure porte sur la connaissance du cours. Un point précis (démonstration d’un théorème, définition, étude d’un exemple) est choisi dans une liste établie préalablement par leur professeur. Cette partie de l’interrogation permet de vérifier la connaissance et la bonne compréhension de l’enseignement reçu dans l’année. Si nécessaire, elle donne à l’examinateur l’occasion d’expliquer ce qui est mal compris.

La deuxième partie de l’épreuve, la plus longue et la plus importante pour l’évaluation finale, consiste en exercices de difficulté croissante. Les étudiants les plus rapides aborderont les sujets les plus complexes. Ceux qui butent sur un obstacle seront aidés par les questions ou les suggestions du colleur. Pour celui-ci, l’objectif premier de cette interrogation n’est pas d’évaluer une performance individuelle mais d’élever les capacités intellectuelles de chacun. La note finale doit rester une indication, non une sanction. Il sera bien temps que celle-ci vienne le jour du concours. Les appréciations portées par l’examinateur sur le cahier de colle vont dans ce sens. Elles forment un bilan où apparaissent les acquis (« tu maîtrises la récurrence double ») comme les lacunes (« il faut mieux apprendre son cours »).

Interrogation ou expression orale

L’habitude de recevoir trois élèves à la fois s’est étendue des classes préparatoires scientifiques aux classes préparatoires économiques et commerciales. Cependant si l’heure d’interrogation orale en mathématiques mérite bien le nom d’interrogation, dans les disciplines littéraires ou linguistiques il s’agit d’abord d’une heure d’expression orale. Il devient alors inconcevable que les élèves composent en même temps. L’examinateur les entendra donc à tour de rôle comme le montre l’exemple suivant.

Au concours d’entrée à l’École des Hautes Études Commerciales (HEC), l’épreuve orale d’histoire, de géographie et de géopolitique dans la filière scientifique n’est pas à négliger : son coefficient est à peu près celui de l’épreuve de mathématiques. Après avoir tiré au sort son sujet, le candidat dispose de vingt minutes pour le préparer et d’un temps égal pour s’exprimer devant son jury. Pour respecter ce format, les professeurs d’histoire distribuent leur sujet par avance. Le jour de la colle, les trois étudiants s’expriment chacun tour à tour. Les dix premières minutes de leur intervention consistent en un exposé problématisé et argumenté sur une question de géopolitique du monde contemporain. Le choix est vaste : l’Europe, l’Amérique, l’Asie, l’Afrique, le Proche et le Moyen-Orient. Il est limité par le souci de faire porter l’interrogation sur les cours des deux dernières semaines. C’est le moyen pour le professeur d’obliger ses élèves à réviser régulièrement et de vérifier leurs connaissances. Les dix dernières minutes de la colle sont le moment d’un échange entre l’élève et son examinateur. La question « que reste-t-il de Mao ? » est ainsi suivie des questions du colleur sur l’exposé de son étudiant. « Où vois-tu la continuité en Chine aujourd’hui ? Où distingues-tu des ruptures ? » Reprise utile qui ne se limite pas à des demandes de précisions. L’examinateur s’implique à son tour, corrige, éclaire, répond aux questions, conseille, donne un exemple de réponse élaborée. En un mot, fait cours.

C’est là un point important à souligner car il engage la conception que les enseignants se font de cet exercice et du rôle qu’ils entendent lui faire jouer dans leur enseignement.

On se figure assez naturellement que l’unique fonction des colles est de préparer les étudiants aux épreuves d’admissibilité des concours des grandes écoles. Rien ne le dit pourtant dans les textes officiels et l’on a vu que le temps accordé réglementairement à chaque élève ne correspond pas à la durée de ces épreuves, très variable de surcroît. Dans la pratique, tous les enseignants se servent du format de ces épreuves dans leur discipline comme d’un cadre pour établir la forme et le sujet de l’interrogation orale hebdomadaire. Mais un cadre n’est pas un carcan et la préparation aux épreuves d’admissibilité n’est pas, à leurs yeux, exclusive d’autres finalités. L’étalement de cette préparation sur deux années, la diversité des épreuves orales des concours, leur absence pour certaines disciplines (combien de candidats aux concours des écoles de commerce passeront l’épreuve de culture générale à HEC ?), justifient ou permettent des aménagements de forme ou de fonction comme le montre la diversité des pratiques.

Deux fonctions particulièrement appréciées

Il ressort de notre enquête auprès des enseignants et de leurs élèves que deux fonctions sont particulièrement appréciées.

La première est la plus évidente. Tous les enseignants s’accordent à dire que les heures d’interrogations orales sont par définition l’occasion d’un apprentissage de l’expression orale, y compris dans les matières scientifiques ou les candidats devront expliquer leurs choix à voix haute. Cette fonction va naturellement de soi pour l’enseignement des langues. Dans quelles autres circonstances un préparationnaire peut-il parler seul en anglais, en espagnol ou en allemand (si l’on exclut de coûteux séjours à l’étranger) ? Elle s’impose encore dans les disciplines littéraires et dans les sciences humaines où la correction de la langue, la fluidité du propos, la clarté du discours comptent beaucoup dans l’appréciation d’ensemble des membres d’un jury. Elle est enfin indispensable au concours des écoles de commerce où l’aisance verbale est jugée nécessaire pour exercer les fonctions de direction ou de communication auxquelles elles préparent.

Or il est notoire que si le système éducatif français apprend communément à lire, écrire ou compter, il apprend beaucoup moins à parler. Se tenir en public, poser son regard et ses mots, construire ses phrases, improviser une argumentation, maîtriser son temps de parole : autant d’habitudes de langage et de comportement qui ne sont autrement acquises que dans les familles. Autant d’exigences face auxquelles les colles sont un appui précieux.

La seconde fonction la plus appréciée dans ce rendez-vous hebdomadaire d’un étudiant avec un enseignant se trouve dans la relation pédagogique privilégiée qu’elle permet d’établir. « Le grand avantage des colles, fait valoir Anne Battistoni-Lemière, professeur d’histoire et de géopolitique au lycée Michelet à Vanves, est de permettre un suivi plus individualisé. C’est un avantage considérable par rapport à l’enseignement universitaire. » Face à trois élèves, ou à un seul dans les filières littéraires, on n’est pas loin du cours particulier. Une occasion unique d’écouter son étudiant, de répondre à ses questions, de préciser une connaissance ou une méthode, de conseiller une lecture et d’apporter enfin cette part d’attention personnelle si profitable à la motivation !

« L’intérêt principal de ce dispositif, souligne Cyril Rigault, professeur de mathématiques en CPGE, est de me permettre d’expliquer personnellement aux élèves ce qu’ils ne comprennent pas. » Dans une période où les dispositifs d’accompagnement personnalisé et de tutorat se multiplient dans les lycées pour remédier aux difficultés des élèves et corriger les inégalités créées par les cours particuliers payants, les colles font figure de bon élève. Elles donnent aux classes préparatoires les moyens concrets d’accompagner les élèves dans leur progression, et particulièrement ceux qui viennent de milieux culturellement défavorisés.

« Sans les colles, je réviserais beaucoup moins »

Qu’en pensent les élèves justement ? Ceux que nous avons interrogés viennent des séries technologiques et se préparent aux concours des écoles de commerce (ECT). Si plusieurs d’entre eux se plaignent du poids de ce dispositif dans leur emploi du temps (avec quatre heures de colle par semaine, ils sont de loin les mieux dotés), tous en reconnaissent l’utilité pédagogique. « C’est difficile au début, reconnaît Marouane, élève en deuxième année, mais cela nous apprend à parler en public sans stresser. Dans les langues, cela nous donne la possibilité d’enrichir notre vocabulaire. » Beaucoup sont sensibles à la relation personnalisée avec leur professeur et regrettent que ce moment d’échange ne puisse prendre la forme d’un cours individuel.

Mais c’est l’aide au travail en général qui est le plus souvent mise en avant dans les réponses. « Sans les colles, admet Audrey, je réviserais beaucoup moins. Cela m’oblige à travailler régulièrement dans toutes les matières et à organiser ma semaine. Cela me permet aussi, ajoute-t-elle, de vérifier l’état de mes connaissances. » Contrainte bénéfique, le rythme hebdomadaire des colles apprend à chacun à travailler vite et efficacement. Par-delà l’acquisition d’une connaissance ou d’un savoir-faire, les interrogations orales donnent à chacun des habitudes et des méthodes de travail. C’est sans doute là ce qui fait aussi leur force : apprendre à apprendre. Une spécificité des classes préparatoires.

[1]. Cour des comptes, Gérer les enseignants autrement, mai 2013, p. 81.



04/01/2018

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 106 autres membres